-50%
Le deal à ne pas rater :
-50% Baskets Nike Air Huarache Runner
69.99 € 139.99 €
Voir le deal

Idéologie & identité

Aller en bas

Idéologie & identité  Empty Idéologie & identité

Message par chapati Mer 7 Déc 2022 - 12:19

"Qu’il retourne en Afrique" ! L’interpellation du député RN Grégoire de Fournas à l’adresse de l’élu noir LFI est entrée dans les annales de la Ve République. En renouant avec les saillies xénophobes animant l’histoire de l’extrême droite, le député RN a révélé les limites de la stratégie mise en œuvre par MLP : comment contrôler les pulsions racistes de ses affiliés ? Au-delà de cette saillie, il y a une part de tartufferie parmi les réactions exprimées au sein de la majorité. La condamnation de l’élu RN ne saurait masquer la normalisation des idées du RN. La dénonciation du migrant assimilé à une menace sécuritaire et identitaire s’est largement répandue. Cette question des migrants illustre combien les politiques ont été influencés par l’imaginaire politique d’un RN, désormais en position de force dans la bataille culturelle.

Un énième projet de loi sur l’immigration est à l’ordre du jour. Celui-ci est animé par une logique binaire opposant les bons aux mauvais immigrés. Une approche manichéenne qui fait écho à la politique d’accueil des réfugiés ukrainiens. Solidaire et généreuse, celle-ci contraste nettement avec le traditionnel traitement de tout autre phénomène migratoire. On assiste bel et bien à une application différenciée – fondée sur un critère lié à l’origine – d’un droit d’asile censé protéger toute personne dont "la vie ou la liberté serait menacée". Or cette atteinte de l’universalité du droit d’asile ne semble pas affecter outre mesure les porte-parole autoproclamés de l’universalisme républicain. Le tri en fonction de l’origine des réfugiés ne fait qu’exprimer le fantasme d’une Europe blanche, d’essence judéo-chrétienne, dont le pendant n’est autre que celui d’un "grand remplacement".

Résumé depuis l'Obs

                                                                      ***

Ce texte, sans doute plein de bons sentiments, tombe pile-poil dans le piège dans lequel le débat actuel est empêtré, où coexistent sans jamais se rencontrer un débat pragmatique qui parle effectivement de l'immigration, et un autre idéologique où l'on ne cause que de racisme, ce dernier semblant livré en pâture au peuple.

Le processus est toujours le même. Quelle que soit la question, partisans et détracteurs forment aussitôt deux groupes et il n'y a plus moyen d'en sortir. La question n'a jamais le temps d'arriver ne serait-ce qu'à être formulée convenablement. Or formuler clairement est évidemment le nœud du problème, ce qu'il faut en comprendre, ce qui est à résoudre etc. Dans les rares cas où l'on y arrive, la population est déjà scindée en deux et la discussion n'avance plus depuis longtemps, chacun se contentant de se battre contre l'opinion de l'autre. Aucune place donc n'est laissée à un débat intelligent.

On peut l'illustrer avec l'exemple du nucléaire. Le débat portait à l'origine sur les bénéfices/risques. Très bien. Sauf que deux camps se sont donc vite dégagés et ça a tourné idéologique : chacun avait ses arguments auxquels l'autre ne répondait jamais, et in fine le pseudo débat tournait en rond. Et pendant ce temps, on en parlait comme s'il s'agissait d'un point de clivage particulièrement important où les politiques mettraient une part de leur identité. Il semble que ce soit finalement le réchauffement climatique (doublé de la crise du fuel), qui ait arrêté ce cirque... au point que même Greta Thumberg a semblé récemment y perdre son latin. On est donc passé d'un débat sur un sujet bien réel à une polémique occupant tout l'espace médiatique... jusqu'à ce que quelque chose advienne et sonne la fin de la récré.

Ce qui montre en outre que les débats portent rarement sur les vrais problèmes mais que personne ne semble s'en apercevoir, tant chacun est fasciné à l'idée de polémiquer. Mais bref là-dessus.


Pour l'immigration c'est pareil. Un problème pragmatique a été recouvert par un débat idéologique qui occupe toute la place. La "position de force du RN dans la bataille culturelle" a effectivement façonné l'idéologie en cours en amenant donc à deux camps, toujours la même binarité...

Au début, quand le FN était encore loin d'être "dédiabolisé", on a qualifié - non sans raison - les détracteurs de "racistes". Et puis leur nombre a augmenté, au point que personne ne semble aujourd'hui savoir comment arrêter ça. Le "débat" n'aura en fait consisté qu'à discourir sur le racisme, comme si ne pas être raciste ne pouvait qu'amener à être favorable à l'immigration, et si la seule raison d'y être opposé était d'être raciste. Quiconque supposé "de gauche" émettrait l'idée que puisse se poser la question de réguler l'immigration était aussitôt accusé d'avoir viré RN, et on n'arrive jamais à en sortir.

Un des problèmes posés est que cette situation n'a fait qu'inciter ceux qui étaient contre à de plus en plus voter RN. Pourtant, il n'est pas forcément illégitime d'écouter ce que disent les gens dans cette affaire, voire d'en tenir compte, surtout donc quand le résultat peut être d'amener l'extrême-droite au pouvoir.


Et à côté de ça, un autre débat, où l'on entendait que la France aurait besoin d'immigrés. Le fond du problème serait que les grands patrons veulent toujours plus de main-d'œuvre pour être compétitifs (ou s'en foutre plein les poches). En outre, on nous dit que nombre de français ne voudraient plus s'occuper de certaines tâches. Aussi comment faire autrement que de les dévoyer aux immigrés (qui, une génération plus loin, fourniront une main-d'œuvre plus qualifiée) ? Natalité et croissance semblent être les mamelles de la bonne saantédes grands patrons. Faudra-t-il paradoxalement aller jusqu'à un gouvernement d'extrême-droite pour les satisfaire ?

.

L'auteur du texte donc, réduit tout à la seule dimension idéologique du débat public, et en tire les conclusions qu'il voulait en tirer. Sauf que ses convictions le font d'une part occulter la dimension pragmatique des choses et de l'autre aller bien trop vite. Il passe par exemple d'un problème spécifique tiré du droit d'asile (où je suis le premier à m'indigner du sort fait aux afghans, qui ont risqué leur vie pour combattre les talibans au côté des français, et qu'on a laissé sur place comme des chiens) au problème de l'immigration en général. Or le droit d'asile ne peut que faire l'objet d'attentions particulières. Il faut bien faire un tri !

Alors que pour l'immigration en général, trier les heureux élus semble insoluble, une fois qu'on a éventuellement accueilli les professions dont on a besoin (médecins etc). De fait, la solution actuelle, soit semble-t-il laisser plus ou moins entrer l'immigration clandestine puis faire le tri après coup, en régularisant ceux qui prouvent qu'ils ont bossé, fonctionne. Et à moins de trouver je-ne-sais quelle solution plus juste tout en étant apte à être mise en œuvre, comment faire autrement ? D'autant que quoi qu'il en soit, des gens de pays pauvres tenteront toujours de venir en France, et qu'on voit pas comment les en empêcher. Les conditions souvent indignes d'accueil des clandestins pourrait d'ailleurs stratégiquement décourager les volontaires, servir à en limiter le nombre, avec l'objectif simple d'en contenir le flux. Bref, c'est bien foutu, leur bazar...

Tout ça pour finir par parler d'une volonté d'Europe blanche, ce qui est aller trop loin. L'Europe blanche, c'est juste le discours de l'extrême-droite, qui surfe depuis toujours sur le racisme plus ou moins latent des français. Ce qui n'empêche pas qu'on puisse effectivement dénoncer une certaine normalisation politique des idées du RN, voire même soupçonner les politiques eux aussi d'un racisme latent : n'oublions pas non plus que quel que soit leur bord ou presque, ils n'ont pas eu besoin du RN pour stigmatiser l'islam et les musulmans depuis vingt ans !

Bref, on ne peut pas se contenter de pointer tel ou tel point précis du doigt pour croire répondre au problème de l'immigration. Et quelles que soient les interactions évidentes entre les deux, on ne peut pas amalgamer de façon aussi simpliste le problème de l'immigration avec celui du racisme. Comment faire, j'en sais rien. D'autant que ça a largement été suggéré : toute tentative de poser le débat sera immédiatement récupéré par le RN, qui aura beau jeu de dire que ça fait vingt ans qu'il parle de ça, avant d'embrayer immédiatement sur ses thèses racialistes (pour le dire poliment).

Aussi faudrait-il en même temps parler d'immigration ET parler de racisme, mais sans plus mélanger les deux. C'est pas simple.

                                                                      ***

C'est à ce moment qu'on pourrait peut-être réfléchir à une thèse d'Olivier Roy, qui consiste à dire que les identités ont remplacé la culture, qu'elles sont le résultat d'une "crise de la notion de culture".

Roy assimile cette crise à la perte de l'implicite, à la façon dont aujourd'hui tout doit être verbalisé et normé : "chaque signe, mot, idée, geste doit avoir un sens univoque et explicite". Il affirme qu'il n'y a de culture que quand on "fait société", quand le "néolibéralisme détache l’individu de ses liens sociaux concrets et en fait un "entrepreneur" supposé avoir une relation contractuelle tant dans son travail que dans sa vie affective". Enfin il dénonce les regroupements identitaires qui font qu'on se regroupe et s'identifie à des groupes idéologiques sur chaque sujet sans plus avoir de récit globalisant qui donne du sens à ces combats.

On est en plein dans le sujet. Il n'est qu'à voir comment les médias s'identifient aujourd'hui à quelques combats sur lesquels ils sont intransigeants, sans plus que ça faire le lien pour leur donner une cohérence. On peut prendre par exemple Médiapart et Marianne. Les dadas de Médiapart portent essentiellement sur le combat néo-féministe et le combat contre le racisme, vu du point de vue intersectionnel (soit théoriquement non ethnocentré etc). Marianne de son côté se méfie du néo-féminisme et prône le point de vue dit "universaliste" pour combattre le racisme. Deux exemples clairs donc, des différences idéologiques qui font actuellement débat en France. Et une réponse claire aussi (la mienne) : y a-t-il par exemple cohérence à prôner à la fois le néo-féminisme et le féminisme porté par certaines féministes racialisées (comme Françoise Vergès) de la vague intersectionnelle ? (voir ici)

Bref, si l'on peut être d'accord pour traiter chaque problème un par un, il n'empêche qu'on restera dans l'idéologie tant que le débat se contentera d'être identitaire, c'est-à-dire tant qu'il sera question de gens s'identifiant à telle ou telle cause et se confrontant les uns aux autres. Les identités sont le reflet de systèmes idéologiques d'appartenance. Il n'y a certes rien à redire à l'idée d'appartenance, si ce n'est que ça n'a pas grand sens sens d'appartenir à des idées sans cohérence les unes par rapport aux autres : c'est de façon globale qu'on s'identifie, et si ça peut éventuellement être (ou être partiellement) par rapport à des idées, encore faut-il y qu'elles soient cohérentes entre elles, et ne pas faire de sa bonne conscience le seul point supposé relier les choses.

                                                                      ***

Je finis par un résumé de l'interview d'Olivier Roy dont il est question, trouvée sur le site de collectif Chronik, où je n'ai de réserves que pour la fin, peut-être trop politique à mon goût bien que correcte (voire même peut-être souhaitable au point où en sont les choses) :

Tout le monde parle de culture et d’identité aujourd’hui, comme si les deux étaient liées. Ma thèse est que la percée du thème de l'identité est le résultat d’une crise de la notion de culture. La crise, c’est d’abord la perte de l’implicite : tout doit être verbalisé et normé : chaque signe, mot, idée, geste doit avoir un sens univoque et explicite.

Le néolibéralisme détache l’individu de ses liens sociaux concrets et en fait un "entrepreneur" supposé avoir une relation contractuelle tant dans son travail que dans sa vie affective. Or, il n’y a de culture que quand on "fait" société.

La mondialisation écrase non seulement les cultures, mais la notion même de culture. Avec internet par exemple, on s’installe dans des communautés d’affinités où on met en avant les seuls marqueurs qui constituent le groupe, d'où une profonde homogénéisation des identités. Ce qui explique sans doute la violence des échanges et des polémiques sur Internet, car l'autre est réduit à un ensemble d’opinions et de pratiques sommaires, détachées de tout contexte.

Or les regroupements identitaires ne fonctionnent pas politiquement. D’abord parce que le groupe identitaire est toujours défini comme minorité non porteuse d’une utopie ou d’un grand récit. Ensuite parce qu'il est en permanence déconstruit de l’intérieur par une course à la différenciation qui rend difficile une vraie mobilisation politique. L’insistance sur l’identité casse la mobilisation collective.


Ce texte est lisible ici sur Médiapart.


chapati
Admin

Messages : 1607
Date d'inscription : 28/02/2017

https://philo-deleuze.forumactif.com

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut


 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum