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Descartes

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Message par chapati Jeu 29 Nov 2018 - 11:07

Voilà ce que je tenais sans arriver à le clarifier : c'est pas tant que chez Deleuze il soit question de l'histoire de la pensée que de l'histoire de la philo. C'est que ça me gênait de parler d'une (telle) évolution de la pensée (ou de l'intelligence, finalement) sur un temps aussi bref que deux mille ans.
L'image de la pensée donc, c'est pas tant de l'ordre d'un progrès qualitatif, qu'un déniaisement par rapport à une pensée engluée dans des limites religieuses etc. La philo et son histoire serait ainsi posée par Deleuze dans un cadre précis directement lié à une histoire de l'image de la pensée, image transcendante dont il s'agirait de s'extirper.

C'est qu'alors les choses s'enchaînent beaucoup mieux. Je comprends pourquoi par exemple il insiste tant sur l'origine grecque de la philo, quand nul doute qu'une philosophie indienne ou chinoise (au sens "art de penser le monde") me semble tout aussi estimable que la nôtre. Deleuze part des grecs puis inscrit la philo dans le cadre de sa propre histoire (son souci d'immanence)... que Platon aurait bousillée en réintroduisant de la transcendance. Du coup on est bien là dans le cadre de ce que Foucault a défini sans ambiguïté en disant que : "jusqu'à Descartes, connaître consistait à déchiffrer ce qui était écrit dans le livre des dieux".

Je comprends du coup en quoi Descartes a pris une telle importance, quand pour ma part je trouvais carrément saugrenu de lui attribuer la "découverte" du subjectif, d'univers mentaux donc propres à chacun (ça me paraissait tellement évident que chacun ait conscience, sinon de son propre univers mental, au moins de celui de l'autre, tant il est évident que personne n'a attendu Descartes pour juger son voisin !).

Descartes semble donc important non par cet espèce de lieu commun du subjectif, mais bien parce qu'il réussit à faire rentrer son idée dans le cadre de la philo : il est important parce qu'après lui, la philo daignera prendre en compte le cogito plutôt que le livre divin qu'il s'agissait auparavant de déchiffrer (et l'on est bien là dans le cadre pur de histoire de la philo, plutôt que celui d'une histoire de la pensée).


Descartes donc.

Pour reprendre l'idée développée au dessus, on peut citer Jean-Luc Marion, très clair semble-t-il quant au rôle que Descartes a joué en philo :
Lorsque Descartes et ses contemporains eurent posé que nous ne connaissons les choses que par les idées que nous en avons, ils n’imposèrent pas seulement l’universel intermédiaire d’un film de visibilité entre notre esprit et le monde, où toute la difficulté reviendrait à séparer les représentations qui font voir une réalité de celles qui masquent sous l’apparence l’absence des choses (en sorte que la vérité devienne le combat du certain contre l’incertain par l’épreuve du doute). Ils allèrent aussitôt un pas plus loin : si connaître signifie connaître par idées, la différence entre les idées vraies et les idées fausses se joue donc dans le champ de l’image – entre celles qui confondent ou manquent les caractères de la chose, et celles qui les font voir clairement et distinctement.
Ces idées vraies n’offrent dès lors plus les formes de l’essence de la chose en acte, mais ce qui en rend certaines les propriétés telles que nous pouvons les reconstituer de notre point de vue, et non suivant l’essence de la chose (...) Modèles et paramètres définissent l’objet, qui fait l’économie de la forme essentielle de la chose, et annonce l’écart que Kant a fixé entre la chose en soi et le phénomène. L’objet devient ainsi comme un phénomène, en droit sinon en fait intégralement réductible à ce qui nous apparaît.


Sur Descartes lui-même, et donc le célèbre cogito, un bout de cours de Deleuze (au départ sur Kant) trouvé ici, avec sans supplément la critique de Kant, très éclairante (le tout repris aussi clairement que j'ai pu) :
Avec Descartes apparaît quelque chose qui aura une très grande importance dans l'évolution de la philosophie, à savoir la découverte de la subjectivité. Découverte qui n'est pas la subjectivité empirique (vous et moi). Avant Descartes, on donnait avant tout des définitions par genre ; par exemple : l'homme est un animal raisonnable. Descartes dit que quand on donne une définition de ce type, ça nous renvoie toujours à quelque chose d'autre qu'on est supposé savoir : ce que c'est que l'animal, ce que c'est que raisonnable. Il va substituer une définition d'une autre forme parce qu'il n'y a pas besoin de savoir ce que c'est que penser. C'est donné dans l'acte de penser.
Son problème, c'est le fondement d'une certitude qui soit soustraite à tout doute possible. Et il pense que le doute va lui donner cette certitude ; à savoir, il y a une chose dont je ne peux pas douter, c'est que en tant que je doute, je pense. En d'autres termes, l'opération de douter va me fournir une certitude qui contient en soi son propre fondement : je pense ! Et il va jusqu'à dire que c'est un nouveau mode de définition de l'homme.
Je pense, c'est donc un acte par lequel je détermine ma certitude, c'est une détermination active. Non seulement je ne peux pas douter de ma pensée, mais je ne peux pas penser sans être : une même relation implicite qui va de douter à penser va de penser à être. Je doute, je pense, je suis.
Je suis quoi ? La détermination va déterminer l'existence indéterminée : je suis une chose qui pense, une chose pensante. C'est une démarche logique, mais d'un type nouveau, une logique d'implication, par opposition à la logique classique qui était une logique de relations entre concepts. Il va donc de la détermination à l'indéterminé, de la détermination "je pense" à l'indéterminé "je suis"... et en conclut : je suis une chose qui pense. Il suit sa logique d'implications : je doute, je pense, je suis, je suis une chose qui pense. Il a découvert la zone où la substance était sujet.
Descartes affirme que l'âme et le corps sont distincts : la représentation que j'ai de ma pensée et celle que j'ai d'un corps étendu sont telles que je peux me représenter ma pensée sans me représenter une étendue et me représenter une étendue sans me représenter ma pensée. Ça lui suffit pour dire que la pensée et l'étendue sont réellement distinctes.

Et là Kant dit non. Je pense, je suis, d'accord. Mais pourquoi "une chose qui pense" ? En vertu du phénomène qui, selon sa définition, ne désigne plus l'apparence mais ce qui apparaît, il peut dire que la forme sous laquelle une existence est déterminée dans les conditions de notre connaissance, c'est la forme du temps. Donc le "je pense" est la forme de la spontanéité mais le temps est la forme du déterminable. C'est seulement sous la forme du temps, comme forme du déterminable, que la forme de la pensée va déterminer l'existence indéterminée "je suis". Voilà que mon existence ne peut être déterminée que comme temps.
Or si le temps est la forme sous laquelle mon existence, peut être déterminée par le "je pense", la forme que je reçois du déterminable est celle d'un phénomène dans le temps : j'apparais et m'apparais à moi-même dans le temps. Je suis un être réceptif, qui a une cause, qui n'agit pas sans aussi subir des effets. Je suis un sujet passif qui subit les modifications dans le cours du temps : "je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d'un être spontané, mais je me représente seulement la spontanéité de mon acte de penser".  Je ne peux pas déterminer mon existence comme celle d'un JE, mais je me représente seulement le JE.


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